Parlons musique



Dans une vie précédente et sous un autre nom, Fausto écrivait des critiques musicales dans un anglais des plus broken, approximatif et bien souvent ordurier – ce niveau là, il maîtrisait. A l’époque, cette autre créature savait lire et écouter en même temps. Je ne sais trop si c’est dû au vieillissement du cerveau mais ces jongleries sont désormais impossibles. La bête a mué et est sortie de son cocon sous la forme de Fausto, lecteur impénitent ayant jeté les plaisirs auditifs avec l’eau du bain purifiant post-régénérescence.

Il faut tout de même préciser que les échos de guitares continuent à me bercer, même si de façon nettement moins fréquente. Pendant des années, l’autre créature a composé minutieusement son top des douze mois écoulés. Elle élaborait une longlist comptant des dizaines d’albums, les réécoutait tous pour déterminer une shortlist, réécoutait tous pour réduire la sélection à vingt titres, réécoutait tous pour lui donner un ordre plus ou moins conséquent. C’est fini tout ça, mais Fausto veut vous parler des deux, trois choses l’ayant accompagné en 2006. Oyez, Oyez !

Une année ne peut pas être complète sans un petit truc de Sunn. Cette fois-ci, on ne devra pas se contenter d’une sortie ultra-limitée, puisque l’infâme monstre des infrasons offre une saisissante collaboration avec le meilleur groupe japonais, Boris. Cette rencontre donne « Altar », un album parfait, monumental. Ce n’est ni du Sunn, ni du Boris, c’est un étrange amalgame. Bien sûr, ça drone sec, ça fait bzzz et hmmmmm et urrrrrrhhhhhhhhhhh, ça agite les entrailles, ça retourne les cœurs, ça fait baisser la tête, lever les bras, tordre les mains. Bien sûr. Mais Sunn devient plus psyché grâce à la guitare de Wata, la basse de Takeshi et la batterie d’Atsuo. Mais Boris devient plus sombre par l’intervention divine et totalement grim de Steve O’Malley et Greg Anderson. Mais ces monstres donnent aussi dans la berceuse lorsque Jesse Sykes débarque. Mélodieuse œuvre démontrant, si c’est encore nécessaire, que indeed, « it’s always night ».

Pas une année non plus sans un album de Circle juste au début de l’hiver. En bons Finlandais, ils ont la même discipline que leur Santa Claus. Les compagnons de routes connaissent ce quatuor infernal pour ses ineffables œuvres neo-kraut, post-folk, proto-zeppelinesque ou prometeo-heavy. S’il fallait désigner un groupe majeur de ce début de millénaire sur ce vieux continent, il ne fait aucun doute qu’ils arriveraient en pôle (sur un traîneau, encore bien !). Et les animaux surprennent, non pas en se transformant en carré, mais en larguant « Miljard », époustouflant double album où nos joyeux lurons réinventent la roue minimaliste. Abstraction faite musique, l’œuvre reste incroyablement humaine et résonnante. De quoi vous emmener jusqu’au bout de cet hiver qui tarde décidément à venir. They fly toward grace.

Enfin, parlons rééditions. « Enfin » est le mot qui convient pour aborder la mise à disposition du public de quatre cd’s de Coil, depuis longtemps indisponibles. Ces trente dernières années, la révolution électronique a pris d’assaut l’Iwo Jima musical afin d’y planter son drapeau. La victoire n’est (heureusement) pas totale, et les vrais héros (malheureusement) pas récompensés. Ca fait mal de penser que Coil a traîné sa musique sur vingt ans, sans que le public n’y fasse vraiment gaffe. Alors qu’Autechre, Labradford ou Nine Inch Nails ont admis leurs dettes, le groupe anglais est resté ignoré médiatiquement, honteusement rangé dans la case gothique à laquelle il n’appartient pas. Coil transcende la musique électronique, renvoie à l’ensemble de ses sous-genres et est derrière le catalogue le plus impressionnant de cette famille. S’il y a un seul génie – mot à utiliser avec parcimonie- dans les arts électroniques, c’est indubitablement de Coil qu’il s’agit. Peter Christopherson, ex-Throbbing Gristle, et Jhon Balance, ex-Psychic TV, sont bien les héros (presque) oubliés de ces 25 dernières années. Ca fait deux ans qu’on en reparle, que tout le monde se jette sur la moindre chose portant leurs noms : comme par hasard, il aura fallu la mort prématurée de Balance – pour une fois déséquilibré, il est tombé sur la tête. Grand malheur, parce qu’avec « The Ape of Naples », on les sentait sur le point d’amorcer une ultime métamorphose vers l’infiniment superbe. Hélas, mille fois, hélas. Mais voilà donc la réédition des indispensables « Musick to play in the dark » I et II. Mais voilà la première sortie en grands nombres des « tour only » « Remote Viewer » et « Black Antlers ». Tout ça avec des cd’s bonus composés d’inédits parfois stupéfiants. Plus personnes n’aura donc l’excuse de l’indisponibilité pour ignorer ces pépites de l’art alchimique coilien, cette plante qui mourrait sans cesse pour renaître sous une forme complètement unique et différente. En 2004, elle est morte pour de bon, mais gageons que de nombreuses abeilles l’auront butinée suffisamment pour que son esprit vive.

Côté live, je retiens avant tout la « Moog Ceremony » de Sunn à Bruxelles. Concert unique au line-up inédit. Pas une seule guitare en vue, mais bien trois Moog. Et les amis à la rescousse : Atsuo au gong et Julian Cope pour le chant. Un côté coilien en diable, une cérémonie dans laquelle le public s’est complètement perdu, guidé par le bout du nez et des oreilles vers un état presque catatonique.

Bonne année.

 

0 commentaires:

Clicky Web Analytics