Là-bas et chez nous: litblogs

La blogosphère littéraire américaine est absolument épatante. Il y a moyen de se perdre pendant des heures dans cette myriade de sites où chaque blogger a un ton, un style particulier et surtout une passion contagieuse pour les livres. Chez les meilleurs d’entre eux, on peut voir la promesse d’un renouvellement de la critique, d’un nivellement vers le haut par rapport aux médias traditionnels, sérieusement en perte de vitesse.

La couverture de la publication du nouveau roman de Thomas Pynchon est « a case in point », comme on dirait là-bas. A de rares exceptions près, les comptes-rendus, positifs ou négatifs, parus dans les médias traditionnels sont nuls à chier. Vraiment. C’est tout à fait compréhensible : Pynchon n’est pas un auteur facile, « Against the day » est une brique de 1085 pages… Il y aurait tout de même eu moyen de faire un effort. Non : ces papiers sont une longue liste de clichés, de lieux communs, de reproches à côté de la plaque. Désespérant. Par contre, les bloggers ont pris la voie de la sagesse. Pas de jugement –dans un sens comme dans l’autre- à l’emporte-pièce, une vraie retenue –une œuvre comme celle-là ne s’apprécie pas via une lecture rapide ou après une période de réflexion de deux jours-, le souci d’éviter le cliché – peu de papier commençant par la fameuse antienne « Pynchon-le-reclus »- et une meilleure mise en perspective des tenants et aboutissants de « Against the day », mis en rapport avec les cinq romans le précédant. Certes, ça tient du format. On a à la fois plus de temps et plus de place sur un blog. Mais ça n’explique pas tout. Les critiques professionnels sont bien souvent des pisse-copies ayant oubliés à peu près tout de la passion qui les a amenés là où ils sont. On trouve chez leur nemesis online un idéalisme qui fait plaisir à lire.

Chez les pros, certains se sentent visiblement menacés. Pour preuve, cet article de Rachel Cooke pour l’Observer. C’est un papier absolument pathétique, mélangeant les affirmations grotesques –un bon critique est chose rare, c’est pourquoi il faut payer pour le lire-, les raccourcis les plus stupides – les blogs sont populistes- et les mensonges les plus éhontés –j’ai passé la journée à chercher, je n’ai rien trouvé de bon (en ce qui me concerne, une demi-journée m’a suffit à dégoter une quinzaine de blogs qui me satisfont plus que le supplément culturel de l’Observer). Un assaut de ce niveau d’idiotie ne vient que de la part d’une personne aux abois. Mutadis mutandis, Cooke me fait penser a des marchands de chandelles qui lanceraient une pétition contre la concurrence déloyale du soleil – la lumière est un chose précieuse, c’est pourquoi il faut payer pour en bénéficier.

Heureusement, il y a des gens plus clairvoyants. Je pense notamment à Frank Wilson, responsable des pages livres du Philadelphia Inquirer, qui engage des bloggers qu’il apprécie pour écrire une critique de temps à autres. Pourquoi se priver, en effet, d’une telle mine d’or ?

Par comparaison, la blogosphère littéraire francophone est résolument à la traîne. Il y a moins de sites, et la qualité est plus difficile à trouver. Je ne pense pas qu’on verra naître d’ici peu une polémique à la Cooke ou une démarche à la Wilson dans nos vertes contrées. Ceci dit, il y a, apparemment, un léger intérêt de la presse papier : Alexandra du Buzz littéraire aurait été interviewé par deux magazines de renom – dont Technikart. Son site est bien tenu, dynamique, et, j’imagine, fort lu. Malheureusement, la plupart des auteurs dont on y parle me paraissent tout sauf essentiels. C’est peut-être bien là le problème des blogs francophones : notre littérature n’est franchement pas au mieux de sa forme, mais il semblerait qu’on s’en contente –et quand on regarde ailleurs, c’est souvent vers des écrivains pas plus intéressants. Pendant ce temps, aux USA, non seulement la plupart des bons blogs accordent une place important à la littérature en traduction, mais il y en a même qui s’y consacrent presque entièrement.

Saluons tout de même les efforts de Pugnax, Scarecrow, Stalker ou encore Mille-feuilles. Il ne reste plus qu’à espérer que cette différence transatlantique est à mettre sur le dos du jetlag technologique dont les européens sont souvent victimes. A réévaluer dans six mois, donc.

 

3 commentaires:

  1. Anonyme said,

    Merci pour ces liens. Et toujours de la lecture en perspective.

    on 11:14 AM


  2. Juan Asensio said,

    Bonjour et, effetivement, merci pour le lien.
    Tout de même, vous êtes un peu dur : il y a, effectivement, d'excellents sites consacrés à la littérature (dont le Transhumain, en lien chez moi).
    Je suis allé faire un tour sur le site sponsorisé par Technikart (de la pure merde pseudo-barnchouille, il faut tout de même ne pas craindre de le dire) et c'est franchement... sidérant de nullité, comment pouvez-vous rester dans l'euphémisme ?
    Despentes ! C'est un écrivain, ça ?

    on 11:59 AM


  3. Juan,

    Vous me reprochez d'être bien dur, avant de devenir vous-même méchant. :D

    Ceci dit, vous avez raison: il y a d'excellents blogs. Bien cachés, et moins courus, c'est ça le malheur.

    on 1:52 PM


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