Un mur contre le peuple de papier

L’Amérique a toujours été une terre d’immigration et, en matière littéraire, ça nous a donné, par exemple, Bellow, Danielewski ou McGuane. Qu’auraient-ils écrits si leurs ancêtres n’étaient pas venus faire un petit tour au nouveau monde ? Par conséquent, même si l’idée circulait depuis un bon bout temps, ça fait quand même un choc : le quatre octobre dernier, le président G.W. Bush signait la loi autorisant la construction d’un mur de séparation entre les Etats-Unis et le Mexique. Est-ce que Salvador Plascencia sera le dernier chicano à venir enrichir la culture américaine ? Foin d’arguments utilitaristes, les mérites de l’immigration libre ne sont pas le sujet de ce papier…

Né en 1976 à Guadalajara, Plascencia est arrivé à El Monte, Californie, à l’âge de huit ans. Il ne parlait pas un mot d’anglais. Vingt-deux ans plus tard, le voilà doctorant en littérature et surtout auteur de « The people of paper », un remarquable premier roman. Refusé par toutes les grandes maisons, c’est McSweeney’s qui a décidé de l’éditer aux USA. Grâce soit rendue à Dave Eggers.

Il n’est pas simple de faire justice à ce livre. C’est un récit mythologique abordant à la fois la création de l’espèce humaine, l’immigration mexicaine, l’amour déçu, la difficulté d’écrire et une étrange guerre entre un homme qui mouille son lit et l’omnisciente Saturne. Le tour de force est de rendre cet ensemble cohérent et facile d’accès, sans jamais être simpliste ni en paraître prétentieux.

Plascencia a un véritable sens poétique, une grande sensibilité, une imagination débridée et un sens de l’humour et de la dérision irrésistible. En cela, il fait penser à un George Saunders débarrasser des scories politiques et doté d’une plume plus chantante – si ça veut dire quelque chose… Par ailleurs, une large partie du livre s’intéresse au rapport entre l’écrivain et sa création à travers l’intervention directe de l’auteur comme protagoniste de son récit, opposé à la lutte de ses personnages pour leur liberté. C’est un thème classique, mais il est exceptionnel de voir à quel point il arrive à faire passer le message d’une façon légère et profonde. C’est une discussion post-moderne qui serait amusante pour n’importe quel lecteur. Chapeau bas.

Terminons par une autre grande qualité de ce livre : sa mise en page, de prime abord chaotique. Trop souvent, on se met à jouer avec la forme pour faire bien et cacher le vide de la narration. Rien de cela ici : Plascencia trouve à chaque chapitre la forme idoine pour accrocher le lecteur et coller au sens du texte. Tout cela nous donne un livre qui est à la fois un bel objet, une remarquable réflexion philosophique et une superbe histoire sur l’amour et la place de l’homme dans l’univers. Je vous assure que les personnages vont rester en vous et ressortir quand vous ne vous y attendrez pas…

Voilà un premier roman qui mérite tous les applaudissements et introduit un auteur dont on peut espérer les plus belles choses dans les années à venir. Puisque Dubya s’est paraît-il mis à lire, « People of paper » est un livre que Laura devrait lui offrir pour Noël…

Salavador Plascencia, « The people of paper », Bloomsbury, £14.99

 

1 commentaires:

  1. Anonyme said,

    Bonne nouvelle, le livre paraît en français en Mai prochain, publié par les éditions MiC_MaC. Le titre français est "Le peuple de papier"

    on 1:48 PM


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