Nouvelles du Pynch (2)

Lire « Against the day » est une expérience qui exige du lecteur plus de temps qu’un roman ordinaire. Pas seulement parce que c’est évidemment plus complexe et plus profond que la majorité des titres publiés cette année, mais surtout parce que la prose de Pynchon est un plaisir permanent qui arrête le regard, qui force à lire et à relire certains passages et puis à s’arrêter quelques instants pour y penser. C’est donc relativement fatigant, et ça bouleverse quelque peu mon rythme habituel.

En général, je lis dans le bus jusqu’au travail, en marchant entre l’arrêt et le bureau, pendant l’heure de table et puis de nouveau dans le bus sur le chemin du retour. Une fois à la maison, si je n’ai rien d’autre de prévu, c’est reparti pour trois heures de lecture. Ce régime est impossible à maintenir avec AtD, que je ne peux lire qu’assis confortablement avec un dictionnaire et une connexion internet à portée de main. Voilà pourquoi je prends un autre livre avec moi au boulot, quelque chose de plus léger, plus reposant. J’ai donc commencé « The joke’s over », mémoires du fameux illustrateur Ralph Steadman concernant sa relation de travail avec Hunter S. Thompson.

Hier, je suis tombé sur le récit de leur première collaboration à l’occasion du Kentucky Derby. Gallois jamais sorti de son pays, Steadman va se rendre compte avec horreur qu’il est impossible de dessiner le portrait d’un américain et de le présenter ensuite au modèle : il va prendre très, très mal la caricature. Le dessinateur de s’exclamer « it took me quite a while (…) to realize that Kentuckians (…) take things like that as a personal comment and even, in some cases, an insult, comparable to a smack in the mouth ».

A la lecture de ce passage, je me suis demandé quelle pourrait bien être la vision américaine de ce genre de malentendu. Et j’ai tout d’un coup réalisé que Thomas Pynchon me l’avait donnée en page 224, deux heures auparavant.

« On this island, as you will have begun to notice, no one ever speaks plainly. (…) Any who may come to feel betrayed by them, insulted, even hurt, even grievously, are simply ‘taking it too seriously’ The English exercise their eyebrows and smile and tell you it’s ‘irony’ or ‘a bit of fun’, for it’s only a combination of letters after all, isn’t it. »

On parle ici de langue, et Steadman de dessin, mais on parle surtout de tournure d’esprit, de façon de penser. Mis en regard, les deux passages se font écho, comme deux points de vue radicalement différents sur une même scène. Le hasard ( ?) fait bien les choses.

 

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