NBA 2006: Walter - The Zero

2006 est-elle l’année de l’arrivée en masse du 11 septembre sur la scène littéraire ? McInerney et Safran Foer avaient lancés le mouvement il y a un an, et on a maintenant Claire Messud, Ken Kalfus et Richard Powers. A cette liste, on peut ajouter « The Zero » de Jess Walter. Ça fait donc trois romans sur les cinq finalistes du National Book Award.

Le livre commence fort : Brian Remy vient de se mettre une balle dans la tête en nettoyant son arme (ou… ?), mais n’est pas mort. Le lendemain, comme si de rien n’était, il reprend son travail de flic rescapé d’un attentat terroriste dans une ville indéterminée. Depuis l’évènement, il fait visiter le lieu de la catastrophe à des célébrités, accompagné de Guterak, son très loquace et très vulgaire collègue. Après quelques jours de ce régime, il se fait débaucher par une nouvelle agence gouvernementale, chargée de récupérer tous les documents dispersés par l’attaque, qui veut faire concurrence à l’Agence et au Bureau.

Ce qui démarque « The Zero » des autres œuvres approchant ce sujet, c’est la volonté de Jess Walter de faire une satire plutôt féroce de la réaction américaine aux attaques. On est frappé par les descriptions impitoyables des procédés minables et criminels mis en place par les différents services de sécurité afin de paraître sous un meilleur jour – et prendre la main dans la lutte pour le titre de champion de la lutte anti-terroriste. Il n’hésite pas non plus à tailler un costard aux avocats lancés comme des vautours sur les dossiers d’indemnisation de proches des victimes, ainsi qu’aux autorités de la ville – le Giuliani de cette grande ville sans nom d’un pays inconnu en prend pour son grade…

Ceci dit, il ne s'agit pas juste d'une charge méchante. C’est principalement une descente en absurdistan, une plongée dans un monde obsédé par le sécuritaire et réagissant un peu étrangement aux menaces. En fait, Walter escompte avec « The Zero » fournir à la guerre contre le terrorisme l’équivalent du « Slaugtherhouse five » de Vonnegut ou du « Catch-22 » de Heller. Par ailleurs, les dialogues très fréquemment absurdes font un peu penser à ceux que William Gaddis avait composé pour « Jr. ».

Jess Walter a une grande maîtrise narrative. Puisque Remy a des problèmes de mémoire et qu’il oublie régulièrement ce qui s’est passé deux heures auparavant ou se retrouve dans un endroit sans savoir ce qu’il y fait ou doit y faire, les bouts d’histoires se coupent abruptement, on se retrouve dans une scène où il manque le début : le lecteur est mis dans la position du personnage. C’est très bien foutu, et c’est l’élément qui distingue clairement « The Zero » des autres prétendants au National Book Award 2006, dont la narration est plus classique – à l’énorme exception de « Only Revolutions », bien évidemment.

Il reste cependant encore beaucoup de travail à Walter pour être le nouveau Heller ou le Kafka de ce siècle. Si ce livre est habilement composé et agréable à la lecture, ses qualités ne font pas oublier l’impression que l’intrigue tourne en rond avant de se transformer inutilement en une sorte de mélo conjugal. En fait, Jess Walter a souvent du mal à faire naître chez le lecteur de l’empathie pour les personnages. Ce n’est pas un mal en soi dans une satire, mais puisque l’auteur tente, plus on s’approche de la fin, de faire de son livre un drame, c’est assez gênant.

Ne boudons tout de même pas le plaisir ressenti à la lecture, et quittons-nous, une fois n’est pas coutume, avec un petit extrait. Remy rencontre un vieil homme originaire du Moyen-Orient, avec laquelle il pensait être en contact téléphonique, jusqu'à ce que son psy lui dise que c’était son imagination qui le travaillait. Il le lui dit, la réponse prend la forme d’un long monologue.

« You’re always convincing yourselves that the world isn’t what it is, that no one’s reality matters except yours. (…)That’s what happens when a nation becomes a public relation firm. You forget the truth. Everything is the Alamo. You claim victory in every loss, life in every death. Declare war when there is no war, and when you are at war, pretend you aren’t. The rest of the world wails and vows revenge and buries its dead and you turn on the television. Go to the cinema. (…) »

Jess Walter, The Zero, Regan, $25.95

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Cet article est le dernier d'une série consacrée aux finalistes du National Book Award 2006. Le premier, le deuxième, le troisième et le quatrième sont déjà en ligne. Le vainqueur du prix sera annoncé à New York le 15 novembre.

 

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