Le mythe du reclus

Il est impossible de ne pas s’être rendu compte qu’un nouveau Pynchon vient de sortir. Des articles paraissent partout, du NY Times au plus modeste des blogs (celui-ci, par exemple). Et avec ce foisonnement de papiers, toujours ce lancinant refrain, cette ritournelle à laquelle il est impossible d’échapper : Pynchon, l’écrivain reclus. Mais est-ce vraiment un qualificatif pertinent ?

Le journaliste paresseux à l’habitude de comparer le Pynch’ avec Salinger – un rumeur disant qu’il s’agissait du même homme a d’ailleurs circulé. Certes, au niveau littéraire, il n’y a pas photo. Par contre, au niveau de l’isolement, il paraît que c’est kif kif bourricot. Le père de Holden Caulfield n’a pas fait une seule apparition publique depuis 1965, à peu près à l’époque de son divorce, et après dix ans de retrait progressif d’un grand monde qu’il fréquentait pourtant avec assiduité. Dans les années ’90, Ian Hamilton décide d’écrire une biographie de Salinger. Apprenant la nouvelle, l’auteur lance des poursuites contre son biographe : hors de question d’écrire un tel livre. Finalement, il sortira quand même sous le titre « A la recherche de JD Salinger », portrait sans complaisance d’un homme presque mentalement malade, réfugié derrière les murs de sa propriété, n’y laissant rentrer que l’une ou l’autre personne, au gré de ses lubies. Quelques années plus tard, Margaret, sa propre fille, publiera son témoignage, radicalement différent : il y est décrit comme un globe-trotter, bon vivant, parfaitement équilibré. La vérité est sans doute quelque part entre les deux.

Et Pynchon là dedans ? On a vraiment entendu tout et n’importe quoi. Il a été tout à tour Salinger donc, sympathisant des Davidiens, Wanda Tinasky ou encore le UNA Bomber. La dernière photo certifiée date de 1957, il n’a pas plus accordé d’interviews qu’il n’a été vu lors des remises de récompenses qui lui ont été attribuées. Ajoutons à ça une œuvre où la paranoïa et la clandestinité figurent en bonne place, et il faut bien admettre que tous les ingrédients sont en place pour en faire l’America’s most reclusive writer. Et pourtant…

Personne ne lui a encore consacré de biographie (bonne chance au volontaire !), mais lorsque un sitcom américain base un de ses épisodes sur une rencontre avec Pynchon et fait parvenir le script à son agent, ce n’est pas un avocat qu’on envoie, mais bien une réponse enthousiaste de l’écrivain. Il demandera tout de même des changements : certains détails du script ne lui correspondent pas assez !

Par ailleurs, certains détaillent glanés à droite et à gauche cadrent mal avec cette notion de reclus : on parle de lui fumant des joints avec Brian Wilson, il écrit sur les émeutes de Watts, rencontre Salman Rushdie, dîne avec Ian McEwan lorsqu’il est de passage à New York, assiste à la remise de diplôme de sa nièce, conduit son fils à l’école. En 2004, il accepte le scénario d’un épisode des Simpsons où il est censé faire une apparition et se rend en studio pour enregistrer lui-même le texte. Au vu du texte qu’il a sanctionné, je pense que tout doute sur son attitude envers sa réputation s’évapore : il en rigole bien de cette bonne blague.

C’est d’ailleurs tellement simple de trouver Pynchon quand on le cherche qu’il n’aura fallu que quelques jours à une équipe de CNN pour le filmer se promenant à NY. Et c’est à cette occasion là qu’est sans doute tombé l’élément qui permet le mieux de comprendre ce qu’il faut penser de ce terme de reclus. Furieux d’avoir été surpris, il contacte la chaîne, demandant à ne pas être identifié à l’antenne. On lui demande son avis sur la réputation qu’il a. La réponse est claire : "My belief is that 'recluse' is a code word generated by journalists ... meaning, 'doesn't like to talk to reporters'."

A une époque où il n’y a rien de pire que de vouloir garder sa vie privée… privée, et où on devient célèbre en déféquant devant une webcam, un tel refus de la publicité peut surprendre. Pour ma part, je trouve sain qu’il y ait encore des gens comme Pynchon qui décident de creuser un fossé entre eux et les médias. Ceux-ci, gonflés de leur certitude d’être le quatrième pouvoir, celui à qui on doit parler, parce que « les gens ont le droit de savoir, mon bon monsieur ! », ne comprennent pas qu’on les rejette. Naît ainsi un mythe, le portrait d’une bête étrange, un Benny Profane qui serait prêt à descendre dans les égouts non pas pour chasser l’alligator, mais bien pour éviter les feux de la rampe. Moi, je vois surtout un homme qui refuse de se mettre entre le lecteur et son œuvre : il pense sans doute que tout ce qu’il a dire d’intéressant s’y trouve.

Cette vision de l’homme Pynchon vous paraîtra sans doute un peu légère, pleine de conclusions hâtives et de partis pris étranges. J’en suis le premier conscient. Ce blog a bien sûr une fonction commentaire. J’attends le vôtre avec impatience : comment voyez vous le personnage ?

 

1 commentaires:

  1. Anonyme said,

    Mais non, votre vision de l’homme Pynchon me semble la meilleure. Quand l'homme s'efface délibérément devant l'oeuvre...
    Cela dit, je n'ai jamais rien lu de lui. Encore quelque chose à faire ! Tant de livres et si peu de temps...

    on 5:32 PM


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