Séparer le bon grain de l'ivraie

La paresse a beau être une maladie très répandue, il n’existe pas de remède. Elle m’a donc cloué loin de ce clavier pendant près d’une année complète. N’allez pas croire que les lectures se firent rares, bien au contraire. C’est le fourmillement dans le bout des doigts, nécessaire au début de la rédaction, qui s’était fait la malle. Il revient tout doucement, et si je ne peux promettre la régularité, j’essayerai tout de même de ne pas faire défaut aux quelques lecteurs que j’espère fidèles.

Pour ce premier message depuis le 12 octobre 2005, il m’est impossible de faire l’impasse sur la rentrée littéraire, événement très français et assez déprimant. Cette année, pas de gros, gros noms étrangers mais tout de même deux titres à épingler.

L’Olivier vient de publier « Le script » de Rick Moody. Passons le titre épouvantable de la traduction –l’original est « The Diviners », titre de la série dont le script, justement, est l’élément central du roman- et concentrons-nous sur plus essentiel. Histoire de placer l’auteur, Moody a étudié à Brown, avec Jeffrey Eugenides et Donald Antrim. Le trio s’acoquinera ensuite avec Jonathan Franzen. Il est surtout connu grâce à « The Ice Storm », le film qu’Ang Lee réalisa sur base d’un de ses romans.

Moody est quelque part entre l’auteur « sérieux », destiné à un public restreint et adulé dans les milieux universitaires, et l’auteur à succès. « Le script » est un récit assez burlesque centré sur un scénar qui n’existe pas vraiment mais qui est entouré d’un buzz suffisant pour exciter l’intérêt d’un boîte de prod’ indépendante, de divers acteurs, agents, réalisateurs et financiers. C’est l’occasion pour Moody de se livrer à une satire jamais vraiment méchante des milieux artistiques new-yorkais, de ses petites manies et diverses hypocrisies. On y lira aussi un très beau portrait amoureux d’une ville d’avant catastrophe. Certains disent que c’est le meilleur roman sur le monde du cinéma depuis « The day of the locust » de Nathanael West. Je serais nettement plus réservé : c’est un roman réjouissant et bien fait, mais il reste des passages plutôt brouillons et confus. On ressent cependant un vrai plaisir à la lecture, ce qui est difficile à trouver en période de rentrée, tant nous nous voyons entourés de romans poussifs et forcés.

Le deuxième titre est « Les fusils » de William Vollmann. La traduction est de ClaroPynchon, Gaddis, Barth-, il n’y a donc pas trop de souci à se faire pour ceux que l’anglais effraie. Ce roman est le sixième volume d’une série de sept, dont seuls quatre ont été écrits, et un seul –celui-ci- traduit. Perdus ? Ne vous inquiétez pas, l’auteur l’est sans doute autant. Cette série s’intitule « Seven Dreams » et concerne les rapports entre indigènes et européens lors de la colonisation américaine.

Vollmann est un drôle d’oiseau. Il a écrit son premier roman –« You bright and risen angels »- alors qu’il s’était fait jeter de chez lui par sa copine, et la légende veut qu’il restait donc au boulot, écrivant quand tous ses collègues étaient partis, dormant sous les tables et se nourrissant de barres chocolatées. Dans les années qui suivirent, il partagea son temps entre des reportages dans diverses zones de guerres –qui serviront de base à une anthologie sur la violence, longue de plus de trois mille pages-, la rédaction de romans plus ou moins historiques (le cycle « Seven Dreams », justement) et d’autres se déroulant dans le monde de la prostitution –autre fascination Volmannienne, qui dit être « propriétaire » d’une jeune thaïlandaise qu’il aurait rachetée dans un bordel et envoyée à l’école.

On dit que certains de ses romans sont surécrits et plutôt épuisants. N’ayant lu « Les fusils », je ne saurais trop dire s’il s’agit d’un des bons. En cas de doute, il serait donc peut-être préférable d’attendre le printemps prochain, date de parution française supposée du dernier Vollmann, l’énorme, l’excellent « Europe Central ». Ce roman lui valut de recevoir le National Book Award 2005, et fut pour moi un choc littéraire. Il s’agit d’une série de portraits de personnalités, réelles ou fictives, confrontées aux totalitarismes nazi et soviétique. Quelques héros, quelques collaborateurs, mais surtout une foule de gens écartelés entre ce qu’ils voudraient pouvoir faire et ce qu’ils font réellement, des individus mis dans une situation morale impossible par le régime sous lequel ils vivent. Le cas emblématique pour Vollmann est celui du compositeur Shostakovich, dont le portrait –parfois fort fictionnalisé- prend la moitié du livre.

Aux Etats-Unis, la rentrée littéraire n’existe pas. Par contre, entre septembre et Noël, les sorties d’importance vont se succéder. Citons, dans le désordre, Mark Z Danieleswki et « Only revolutions », Cormac McCarthy et « The road », Richard Powers et « The echo maker », ou encore Jonathan Franzen et « Discomfort Zone ». Sans vouloir manquer de respect à tous ces auteurs, le titre le plus attendu est « Against the day », le premier Thomas Pynchon depuis 1997. Sortie prévue pour le 21 novembre.

Rick Moody, Le script, L’Olivier, 23€
Rick Moody, The Diviners, Faber & Faber, £12.99
William T. Vollmann, Les fusils, Le Cherche-midi, 21€
William T. Vollmann, Europe Central, Penguin, $18

 

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