Dermographie baroque

Que je l’accepte ou non, j’appartiens à la culture d’un pays qui s’est autoproclamé phare intellectuel du monde. Ce fut sans doute vrai, ça ne l’est plus depuis bien longtemps, mais le slogan est resté, tel le néon d’un commerce abandonné depuis longtemps. Le problème, c’est qu’au contraire de la boutique, la poussière accumulée ne semble pas signaler au passant la fermeture. Sans vouloir me lancer dans un hit parade –équivalent chez le philistin cultureux de la comparaison de taille de phallus chez le mâle au trop plein d’hormones-, on cherche toujours les équivalents francophones des Zadie Smith, David Mitchell, James Flint, Toby Litt et autres Adam Thirwell –pour se limiter à la perfide Albion.

À cette liste, je suis convaincu que l’on peut maintenant ajouter Sarah Hall. Jeune trentenaire originaire du nord de l’Angleterre, elle s’était déjà fait remarquer en 2002 à la publication de « Haweswater », son premier roman. Elle a enfoncé le clou à la publication en 2004 du « Michel-Ange électrique ».

Cy Parks, orphelin de père, passe ses jeunes années dans la morne cité balnéaire de Morecambe, où il aide sa mère à faire tourner un petit hôtel. À 14 ans, ses dons de dessinateurs lui permettent de commencer un apprentissage de la profession honteuse et quasi-clandestine de tatoueur. Son maître est une figure paternelle violente, alcoolique, mais portée sur les génies de la renaissance, un homme considéré comme le meilleur de sa profession. À sa mort, Cy émigre aux USA et s’installe à Coney Island, se consacrant à décorer la peau du visiteur du parc d’attraction, entre l’exhibition d’une femme à barbe et le palais aux bébés prématurés. Dans ce fascinant freakshow, il connaît l’amour, crée sa chapelle Sixtine, la voit détruite, se venge, part à la guerre, rentre chez lui et se remet à tatouer.

C’est un roman assez sombre et désespéré, comme un automne à Morecambe, parfois dur, mais toujours beau. Sarah Hall a un style très original, tout en circonvolutions et métaphores. Parfois trop d’ailleurs : elle verse de temps à autre dans un baroque outré et ses images ne sont pas toujours excellentes. On sent aussi qu’elle aime les personnages marquants et originaux, mais sur ses quatre essais du roman, elle n’en convertit pleinement qu’un seul. De plus, malgré l’intrigue qui peut sembler assez mouvementée, elle passe peu de temps sur l’action : on se retrouve donc avec une fiction assez psychologique –et ça fonctionne très bien.

Sarah Hall se démarque par le choix de son sujet, la qualité de sa plume, son sens de la description. Elle a en outre la chance d’avoir bénéficié du travail d’un excellent traducteur. En continuant sur ce rythme, on a là un futur grand écrivain. Un de plus pour augmenter l’avance de la Grande Bretagne sur son éternelle rivale française.

Sarah Hall, Le Michel-Ange électrique, Christian Bourgois, 25€

 

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