David grandit

Lorsque David Mitchell a publié "Ecrits fantômes", son premier roman, on a pu lire des choses incroyables. A.S. Byatt le comparant rien moins qu’à Calvino et Borges, le critique d’Esquire évoquant «an extraordinarly novel of global reach and millenial ambition », celui de Salon « une injection de culture pop dans une expérience post-moderne. » Bon, on se calme, on respire un bon coup, et on se dit que, vraiment, les critiques sont parfois d’excellents publicitaires, moins souvent des yeux exigeants. In fine, ce livre m’a fait passer un moment des plus agréables mais il n’est pas sans défauts. La narration est faite en dix épisodes distincts en matière de lieux, d’actions et de protagonistes. Ces épisodes sont liés entre eux par un personnage, un événement, une évocation afin de donner l’impression d’une fiction unique et cohérente. Malheureusement, ça sent plus le procédé littéraire amateur qu’autre chose. On a donc en gros dix nouvelles qui ne disent pas leur nom.

Dans "Number9dream", son deuxième roman non traduit, Mitchell se montre sous un bien meilleur jour. Eiji Miyake, presque 20 ans, campagnard complet, débarque à Tokyo afin d’y retrouver son géniteur. Celui-ci l’a conçu lors d’une liaison adultérine, avant d’abandonner la mère alcoolique avec les jumeaux qu’elle avait mis au monde. Sa recherche est des plus compliquées car il ne sait rien de son paternel qui en plus a clairement spécifié à son avocat qu’il ne voulait pas le voir. Rêveur inconscient et naïf, Eiji met les pieds partout, surtout là où il ne faut pas. Ce récit donne l’occasion à l’auteur, qui a vécu au Japon, de multiplier les styles littéraires, les niveaux de langue, les tons. On aura droit à tout : un adolescent qui rêve les cinq minutes qui viennent plutôt que de les affronter, une plongée dans les jeux vidéos, des péripéties digne d’un manga de yakuzas, une fable moderne, le récit d’un pilote de torpille suicide à la fin de la deuxième guerre mondiale (Kaiten), une rencontre avec John Lennon et Yoko Ono. Mitchell déploie une certaine virtuosité et montre qu’il est capable de parler de tout, de toutes les façons possibles. La narration est tout sauf linéaire, réservant donc de nombreuses surprises au lecteur. C’est bien écrit, et parfois plein de grâce. Les personnages sont remarquablement composés, peu réalistes mais drôles et originaux ; et leur interaction amène des moments superbes. Je pense tout particulièrement à la petite histoire d’amour qui se développe entre Eiji et Ai : on sent vraiment les sentiments qui naissent, la difficulté de s’en rendre compte et de le dire.

Ce livre est ambitieux mais pas trop : à moins d’être particulièrement inattentif, il est difficile de s’y perdre. La langue est en général très anglaise alors que tous les personnages sont Japonais. Il est vrai que retranscrire l’argot Tokyoïte afin qu’il ressorte bien dans une langue étrangère aurait été un travail de titan. Ceci pour dire que David Mitchell n’affiche pas encore l’ambition du « livre-monde », et c’est sans doute mieux ainsi. Autant y aller petit à petit, prendre confiance avant de se jeter dans cette tâche que peu ont réussi à accomplir jusqu’au bout.

Son troisième roman est paru l’année passée au Royaume-Uni. Il s’appelle "Cloud Atlas" et est, paraît-il, encore plus ambitieux et encore plus réussi. Il est sur ma liste d’achat afin de voir comment Mitchell a réellement évolué, et de pouvoir vous dire si, cette fois-ci, les critiques ne se comportent plus en publicitaires.

David Mitchell, Ecrits fantômes, traduit par Manuel Berri, éditions de l’Olivier, 21€
David Mitchell, Number9Dream, Sceptre paperback, £7.99

 

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